Chronique : Le logement, amplificateur d’inégalités (Janvier 2024)
Le retournement actuel du marché de l’immobilier, favorisé par la hausse des taux d’intérêt, n’efface pas l’envolée de ses prix depuis 20 ans : ils ont augmenté 4 fois plus vite que les revenus de 2001 à 2020 (+125% contre +29%). Le logement est devenu un poste essentiel de dépense, passant de 9,5% du revenu en 1960 à 23% aujourd’hui. C’est un domaine majeur de la crise sociale dans notre pays, aggravé par le désengagement de l’Etat (rapport Oxfam sur le logement, décembre 2023).
Des inégalités à tous les étages.
. L’envol des prix de l’immobilier a approfondi l’écart entre les ménages les plus aisés et les ménages les plus démunis par rapport au logement. La part des dépenses de logement dans le revenu est plus de 2 fois plus élevée pour les 25% les plus riches (32%) que pour les 25% les plus pauvres (14%). La part dans le budget des étudiants est 2 à 3 fois plus forte que pour la moyenne des ménages. Plus le revenu d’un ménage est faible, plus le logement réduit la part du reste à dépenser dans le budget.
. La hausse des prix de l’immobilier exclut même les catégories intermédiaires en relevant la barrière à l’accès à la propriété Pour acquérir un 40m2 à Paris, il fallait gagner 8125€ brut par mois en 2022 contre 3500€ il y a 20 ans. Seuls les plus fortunés peuvent acheter, les autres doivent s’endetter sur des périodes de plus en plus longues (15 ans en 2000, 22 ans en 2020).
. Les inégalités affectent massivement le parc de logement. La propriété des logements est concentrée : 3,5% des ménages détiennent 50% des logements mis en location par des particuliers. Le nombre de résidences secondaires croit plus vite que celui des résidences principales (1,7% contre 0,9% de 2013 à 2018). Le nombre de logements vacants (3 millions, 8,2% du parc de logements en 2023) augmente. Le mal-logement s’aggrave. On compte plus de 4 millions de mallogés et 5,2 millions de passoires thermiques (17% du parc résidentiel).
. L’accès au logement est un parcours du combattant. 2,4 millions de ménages attendent un logement social. Plus d’1 million de personnes sont privées de logement personnel, dont 330000 personnes sans domicile (Fondation Abbé Pierre). 2800 enfants étaient sans solution d’hébergement en octobre 2023 (FAS). On relève environ 15000 expulsions par an (17500 en 2022).
Le désengagement de l’Etat au profit du marché.
. La construction de logements sociaux a baissé depuis 2017 : 126000 en 2016, 96000 en 2021, environ 85000 en 2023. Les aides à la pierre pour le logement social ont quasiment disparu, l’Etat a augmenté la TVA et prélevé sur les fonds propres des bailleurs sociaux depuis 2018. Le logement social ne concerne que moins de 8% des étudiants.
. Le logement a cessé d’être une priorité. L’effort public pour le logement a été réduit (2,2% du PIB en 2010, 1,6% en 2022. Les aides aux personnes, qui sont très redistributives, ont été réduites chaque année depuis 2016 (-15%) (APL réduites, APL accession supprimées).
. Le désengagement public ouvre la voie aux investisseurs privés. Ceux-ci dominent le secteur du logement intermédiaire. Les investissements dans les résidences privées étudiantes et seniors se sont multipliés. Les réformes du secteur aidé ont transformé la gestion des organismes bailleurs. La financiarisation affecte même le logement de populations à bas revenu.
. L’explosion de la location courte durée (type AirBnB) accroit les tensions en réduisant l’offre de logements résidentiels et aggrave les inégalités.
. Les aides fiscales récentes (ex. dispositif Pinel pour l’investissement locatif) sont coûteuses pour l’Etat (3 niches fiscales : 11M€ en 12 ans, équivalent à 70000 logements sociaux), mal ciblées et peu incitatives.
Il est urgent que le logement redevienne une priorité appelant une politique volontariste de l’Etat. Cela passe notamment par un effort accru pour le logement social, par la limitation du rôle des sociétés financières, par la maitrise des prix du foncier, par le plafonnement du taux d’effort pour les ménages à bas revenu, par l’encadrement strict des meublés touristiques, par une fiscalité foncière progressive et par des mesures fortes sur les logements vacants.
Michel Cabannes, Economiste (ex enseignent Université de Bordeaux)