Chronique de Michel Cabannes « La nouvelle inflation » (Mars 2023)

Chronique de Michel Cabannes (Mars 2023)

La nouvelle inflation 

L’inflation depuis 2021, moins forte que celle des années 1970, présente des spécificités. Très différenciée suivant les produits, initiée par des raretés et persistante par les profits, elle contribue à une forte régression sociale.
Une inflation différenciée.
En France, le taux d’inflation est sur un plateau de l’ordre de 6% depuis novembre dernier (indice des prix à la consommation INSEE : février 2023 : 6,3%. Il est de 9,2% dans la zone OCDE, de 8,6% dans la zone € (janvier 2023).
En France, la hausse est plus forte pour l’énergie (14,1% février 2023, tendance au reflux) et pour l’alimentation (14,8%, tendance persistante) que pour les produits manufacturés (4,7%) et les services (3,0%). Cela vaut aussi pour la zone euro. Aux Etats-Unis, l’inflation a été plus précoce qu’en Europe et résulte moins de l’énergie que de l’alimentation et des autres biens et services. 
Une inflation de raretés et de profits.
L’inflation a resurgi en raison de raretés et elle persiste en lien avec les profits.
. Le rôle des nouvelles raretés.
Des tensions sont apparues à la fin du covid entre la hausse de la demande, du fait des plans de relance et des liquidités accumulées, et les rigidités de l’offre, accrues par le covid. Les prix des hydrocarbures se sont envolés du fait des tensions de la fin du covid en 2021, puis de la guerre d’Ukraine en 2022 (baisse des importations russes). La hausse a affecté aussi des matières premières. Les prix des produits alimentaires ont grimpé du fait de mauvaises récoltes en 2021, puis de la guerre d’Ukraine, réduisant l’offre de céréales. Les prix de nombreux biens manufacturés et services ont augmenté en raison de la désorganisation des capacités de production et des chaines de valeurs (composants industriels, semi-conducteurs, vaccins, transport maritime).
. Le rôle du pouvoir de marché des firmes.
L’inflation persiste surtout en raison du pouvoir de marché des firmes qui ont la capacité d’exploiter les raretés par des hausses de prix allant au-delà des hausses de coûts. Elles ont accru leur prix de vente au-delà de la hausse des prix de l’énergie. Le pouvoir des firmes a cru en lien avec les concentrations. Aux Etats-Unis, les nombreuses fusions acquisitions ont renforcé les oligopoles.
Cela produit une dynamique de profits. La hausse des prix permet de soutenir les profits du capital dans un contexte de baisse des gains de la productivité. Aux Etats-Unis, l’inflation est alimentée surtout par la hausse des profits d’entreprises (53%), bien plus que par celle des salaires (8%). Le taux de marge bénéficiaire a remonté en 2021 dans la zone €, plus tardivement en France.
Une inflation de régression sociale.
– Les salaires à la traîne.
Nulle part les salaires ne suivent l’inflation dans les pays avancés, d’où une baisse des salaires réels. Dans la zone euro, en 2022, la hausse des salaires par tête a été inférieure à 5% alors que l’inflation a dépassé 10%, soit un écart de plus de 5 points.  L’écart a été de 3,1 pts en Allemagne (2022) et de 1,7 pt en France (salaire de base +3,7%, prix +5,4% entre le 3ème trimestre de 2021 et de 2022). Cela résulte d’un pouvoir de négociation des travailleurs affaibli par plusieurs décennies de dérèglementation du marché du travail, de mondialisation néolibérale et de dépendance accrue au crédit. En France, il n’y a même pas de hausse des salaires plus forte pour les métiers en tension (construction, hébergement-restauration, services aux entreprises…).
– Une inflation inégalitaire.
. Les plus pauvres subissent une inflation plus élevée que les plus riches. En France :  0,8 point d’écart entre les taux d’inflation des 20% plus pauvres et 20% plus riches. Motif : les postes les plus inflationnistes couvrent une part plus grande de leur budget (% alimentation : plus pauvres 40%, plus riches 18%).
. Les ménages ruraux subissent une inflation plus forte que ceux de l’agglomération parisienne (1,8 point d’écart) en raison des coûts de transport.
. Les ouvriers subissent une inflation plus forte que les cadres (en France,1 point d’écart du 1er trim. 2021 au 1er trim. 2022). 
Les politiques face à l’inflation.
– Les politiques actuelles.
D’une part, elles limitent certains effets de l’inflation par des mesures partielles (boucliers énergétiques, aides ciblées). D’autre part, elles utilisent les hausses des taux d’intérêt, ce qui ne s’attaque pas aux causes majeures de l’inflation.
– Une politique économique alternative.
Elle devrait associer des contrôles des prix et des positions dominantes, une évolution négociée des revenus préservant le pouvoir d’achat des salariés et une politique monétaire mesurée au service des objectifs écologiques et sociaux. 
Les perspectives de l’inflation.
A court terme, la Banque de France anticipe une inflation de 3,8% fin 2023.
Mais rappelons qu’un reflux de l’inflation ne signifie pas la fin de la vie chère puisque cela ne signifie pas une baisse des prix,
Au-delà, la question fait débat entre ceux qui prévoient un retour à la modération (Banque de France : 2% en 2024 et 2025) avec un reflux des raretés (énergie, alimentation) et ceux qui prévoient une inflation persistante pour divers motifs structurels (démondialisation et transition écologique notamment).

Michel Cabannes, économiste (membre de l’association Le Café Economique de Pessac)

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