Chronique – « Chine-Etats-Unis : de la complémentarité à la rivalité  » Michel Cabannes (Novembre 2024)

Chronique – Chine-Etats-Unis : de la complémentarité à la rivalité Michel Cabannes (Novembre 2024) 

Le devenir de l’économie mondiale est tributaire des relations entre les deux grandes puissances actuelles : les Etats-Unis et la Chine. La convergence de leurs intérêts fut à l’origine de la promotion de la mondialisation. Mais celle-ci a provoqué ensuite leur rivalité qui remet en cause la mondialisation initiale. Ce basculement est analysé, en se basant sur la logique extérieure des capitalismes, par Benjamin Burbaumer (Science Po Bordeaux), dans son livre « Chine/Etats-Unis : le capitalisme contre la mondialisation » (invité au Café économique de Pessac le 5 novembre 2024).

La complémentarité initiale

La mondialisation sous l’égide des Etats-Unis a été mise en place à partir des années 1980 par l’élimination des obstacles au commerce international, aux investissements directs étrangers et à la liberté de circulation des flux financiers. Elle correspondait aux intérêts économiques convergents des deux pays. D’un côté, les Etats-Unis, pour échapper à la crise de suraccumulation des années 1970, ont impulsé la mondialisation pour que le capital transnational augmente ses profits grâce à une main d’œuvre étrangère bon marché et à des produits importés à bas prix. D’un autre côté, la Chine, en pleine transformation capitaliste sous la direction de Deng Tsiao Ping, visait une impulsion extérieure grâce au marché mondial. Elle s’est insérée dans la mondialisation comme fournisseur d’une main d’œuvre bon marché, bien formée et en bonne santé après des décennies de régime maoïste. Elle a ouvert son économie aux capitaux étrangers, aux technologiques étrangères et au commerce mondial, afin d’accroitre ses exportations, d’accélérer la croissance grâce à sa compétitivité.

Cette mondialisation a permis à la fois l’augmentation des profits des multinationales américaines et une forte croissance durable sans précédent de la Chine grâce à l’explosion des exportations. La puissance chinoise est le produit du capitalisme et de la mondialisation initiée par les Etats-Unis.

La rivalité émergente

Mais la mondialisation n’a pas été heureuse pour tout le monde. Aux Etats-Unis, l’emploi industriel a subi les destructions considérables liées surtout à la concurrence des produits chinois. La Chine a fini par être accusée d’inonder les marchés étrangers de ses produits.

Le développement de la Chine a conduit à la montée en gamme de ses produits dans la division internationale du travail, créant une concurrence pour les produits des pays avancés : la complémentarité a donc régressé au profit de la concurrence entre les productions. La Chine a même pris de l’avance dans certains domaines sur les pays anciennement industrialisés, notamment pour la voiture électrique, les énergies renouvelables et certains compartiments du numérique. Les Etats-Unis ont alors craint que la Chine les dépasse économiquement, d’où un changement de politique commerciale initié par Trump et poursuivie par Biden : des mesures de protection contre les importations venues de Chine, et des mesures d’interdiction d’exportation de certaines technologies. Ces restrictions s’expliquent moins par la personnalité des dirigeants politiques que par la nouvelle rivalité économique. Après avoir promu le libre échange quand ils le maitrisaient, les Etats-Unis n’hésitent pas à recourir aux obstacles aux échanges quand leur domination est mise en cause.

Un conflit d’hégémonies

« En devenant capitaliste, la Chine s’est vue contrainte de défier ce qui a permis son essor, à savoir une mondialisation pensée, organisée et contrôlée par les Etats-Unis » écrit Benjamin Burbaumer. La Chine conteste la mondialisation sous supervision états-unienne. « La rivalité sino-américaine ne porte pas tant sur l’existence du marché mondial que sur son organisation », sur ses règles du jeu. La Chine essaie d’externaliser ses déséquilibres économiques internes par la mise en place d’infrastructures physiques, technologiques et monétaires permettant des échanges internationaux sous son contrôle :  les Nouvelles Routes de la soie favorisant les relations commerciales et financières sino-centrées, les acquisitions de ports situés à des points stratégiques, le contrôle des infrastructures techniques (normes et réglementations techniques), le contrôle des technologies clés de l’infrastructure numérique, la contestation du privilège exorbitant du dollar. Cette réorganisation du marché mondial court circuite la supervision des Etats-Unis et se heurte à leurs multinationales : c’est pourquoi la Chine reste la priorité numéro un de Washington et de ses alliés.

Le conflit Etats-Unis-Chine met aux prises deux formes de capitalisme en lutte non seulement pour des parts de marché, mais aussi pour le contrôle de l’économie mondiale, dont l’avenir risque d’être agité.

Michel Cabannes, Economiste (membre du Café Economiques de Pessac)

 

Chronique – Michel Cabannes « Budget 2025 : un budget de régression » ( Octobre 2024)

Chronique de Michel Cabannes, 15 Octobre 2024

Budget 2025 : un budget de régression

 

Face au déficit public massif (6,1% du PIB en 2024) lié en partie aux cadeaux fiscaux des dernières années, le gouvernement Barnier prévoit un ajustement de 60M€ (2% PIB) pour revenir à un déficit de 5% du PIB en 2025, dans la perspective d’atteindre la barre de 3% en 2029.

Une austérité massive sur les dépenses.

Le projet de budget prévoit de fortes réductions de dépenses publiques (40M€).

– L’austérité concerne d’abord l’Etat (20M€). Cela inclut les objectifs des lettres de cadrage du précédent gouvernement (15M€ d’économies) et des réductions de dépenses supplémentaires à voter dans des amendements (5M€). L’austérité est générale à l’exception de la défense (+3,2M€), notamment pour le sport (- 12,3%), le travail et l’emploi (-8,8%), l’agriculture (-7,8%), la recherche et l’enseignement supérieur (-3,2%). En matière d’éducation, 4000 postes d’enseignants doivent être supprimés. En matière d’écologie, les réductions de dépenses (2M€) concernent le Fonds vert pour les collectivités locales, le dispositif de rénovation énergétique et les aides aux véhicules propres.

– L’austérité porte ensuite sur la protection sociale (15M€). Cela inclut le report de 6 mois de l’indexation des retraites (3,6M€), le ralentissement de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) (près de 4M€) par la baisse du taux de remboursement des consultations médicales, des remboursements des produits de santé et des indemnités d’arrêt de travail.

– L’austérité porte enfin sur les collectivités locales (5M€). Cela prend la forme d’un prélèvement de recettes pour un « fonds de précaution » touchant les plus importantes d’entre elles (3M€), de moindres transferts de TVA aux collectivités locales (1,2M€) et de l’amputation du FCTVA (800m€).

Une justice fiscale au rabais.

Face à l’ampleur du dérapage des finances publiques, le gouvernement a dû revenir sur certains de ses dogmes. Il a renoncé au dogme du refus des hausses d’impôts en décidant des hausses des recettes fiscales (près de 20M€). Il a dû revenir aussi sur le dogme des baisses de cotisations sociales des dernières décennies en supprimant des réductions des cotisations employeurs sur les bas salaires (4M€).

Mais le budget fait un pas très insuffisant vers l’équité fiscale. Il prévoit une hausse exceptionnelle de l’Impôt sur les Sociétés de 25% à 30% sur les entreprises de plus de 1M€ de CA et de 25% à 36% pour les entreprises de plus de 3M€ de CA (divisée par 2 en 2026, supprimée en 2027), une surtaxe exceptionnelle sur les très hauts revenus (>500000€ pour un couple, 65000 foyers, 2M€), une taxe exceptionnelle sur les armateurs (500m€). En fait, la promesse de Michel Barnier d’un budget de justice fiscale n’est pas tenue. D’abord, les hausses d’impôt sur les plus riches et sur les grandes entreprises sont faibles par rapport aux énormes baisses d’impôts consenties au cours des dernières années. Ensuite, ces hausses d’impôts sont provisoires. Le budget 2025 n’oriente pas la fiscalité vers une justice fiscale durable.

Un choc négatif sur l’économie.

Le budget 2025 va produire un effet dépressif sur l’économie française qui déjà ne va pas bien. Pour estimer son impact macroéconomique, Anne-Laure Delatte a fait tourner le modèle Mesange* de l’économie qui contient des multiplicateurs de dépenses plus élevés que les multiplicateurs de recettes fiscales. Il s’avère que le budget 2025 doit entrainer une baisse de 0,6% du PIB en 2025 et que celle-ci doit s’accentuer en 2026 car les ménages et les entreprises vont ajuster leurs comportements sur plusieurs années suite à la baisse de revenus. L’effet restrictif des baisses de dépenses publiques est plus important que l’effet restrictif des hausses de recettes fiscales

Au total, le projet de budget 2025 hypothèque l’avenir à court terme et à long terme de l’économie par l’ampleur des mesures d’austérité sans s’orienter vers une véritable justice fiscale. Celle-ci nécessiterait des mesures fiscales d’une toute autre ampleur. Le NFP propose des mesures prioritaires d’accroissement des recettes fiscales que ses députés vont soutenir lors du débat parlementaire : le retour des impôts de production (CVAE), la suppression du prélèvement forfaitaire unique, la fin des exonérations de cotisations sociales au-delà de 2 SMIC, le recentrage du crédit impôt recherche, une taxe sur les très gros héritages, un renforcement de l’ISF, une taxe sur les superdividendes et une taxe sur les transactions financières

Michel Cabannes, Octobre 2024

 

*Modèle MESANGE (Modèle Économétrique de Simulation et d’ANalyse Générale de l‘Économie)

Chronique – Le NFP : Cap sur la redistribution Michel Cabannes (Juin 2024)

                               Le NFP : Cap sur la redistribution

Il n’était pas évident que les forces de la gauche et de l’écologie s’entendent en seulement quatre jours sur un programme de gouvernement. Elles y sont parvenues pourtant dans le domaine économique sans trop de difficultés. Elles se sont appuyées sur leur dénominateur commun : la priorité au social par la redistribution des revenus, Voyons d’abord les grands axes du programme, puis sa logique et enfin ses implications.

Un triple changement de cap.

Le programme du NFP est axé d’abord sur la satisfaction des besoins sociaux. Il prévoit le soutien du pouvoir d’achat des ménages par la hausse du SMIC à 1600€ net, du point d’indice des fonctionnaires (10%), des APL (10%), par l’indexation des salaires sur l’inflation, par le blocage de prix des biens de première nécessité (énergie, alimentation). Il comprend aussi l’abrogation de la réforme des retraites et de la réforme de l’assurance chômage. Il inclut en outre l’embauche de fonctionnaires (éducation, santé et justice), la rénovation des bâtiments publics et la relance de la construction des logements sociaux.

Le programme comprend des réformes fiscales qui visent les ménages les plus riches à l’opposé de la politique Macron : la suppression de la flat tax et le rétablissement de l’exit tax pour les riches contribuables qui partent à l’étranger, la création d’un impôt de solidarité sur la fortune, la progressivité accrue de l’impôt sur le revenu, la progressivité de l’impôt sur l’héritage.

Le programme comprend enfin des réorientations de la production à des fins d’écologie et d’indépendance. Il prévoit l’essor de filières industrielles vertes, un plan de reconstruction industrielle (médicaments, semi-conducteurs, voitures électriques), des aides aux entreprises conditionnées par le respect de critères sociaux et environnementaux. Il prévoit aussi deux conférences sociales : sur les salaires, l’emploi et la qualification et sur le travail et la pénibilité.

Une logique social-démocrate anti-néolibérale.

Ce programme relève d’une logique redistributive de type socialdémocrate avec une dimension écologique. Il privilégie l’action sur la répartition dans la recherche d’une diminution des inégalités.

Il ne va nullement provoquer une rupture avec le capitalisme ! Y voir la marque d’un quelconque extrémisme est un total contresens. D’abord, sa politique fiscale prend soin de ne pas alourdir les charges des entreprises. Ensuite, au plan des réformes structurelles, il reste très en deçà du programme de la gauche en 1981 qui incluait de nombreuses nationalisations.

Ce programme est en revanche en rupture avec le néolibéralisme qui vise à détricoter l’Etat social. Il va même relativement loin en matière de fiscalité accrue sur les plus riches. Il implique donc une nette hausse des dépenses publiques et sociales avec en contrepartie une hausse des recettes fiscales sur les plus aisés, d’où un gonflement des budgets publics et sociaux, en contradiction avec le projet macronien de les baisser.

Les perspectives de la mise en œuvre.

« Enfin, les difficultés commencent ! » s’écriait le député socialiste Alexandre Bracke-Desrousseaux en mai 1936. En cas de victoire du NFP en 2024, les difficultés ne vont certainement pas manquer non plus !

– L’état actuel des finances publiques et les normes budgétaires européennes ne laissent pas de marge pour accroitre le déficit et la dette. C’est pourquoi le volet fiscal est important. Mais si la hausse des recettes équilibre celle des dépenses, le gonflement des budgets publics sera compatible avec les règles de Bruxelles.

– Le changement de cap notamment fiscal peut susciter des réactions des milieux économiques, probables au niveau financier (bourse, taux d’intérêt) et possibles au niveau de l’investissement des entreprises avec des effets sur la production.

– La réaction de l’activité économique à cette politique va jouer un rôle clé. En l’absence de croissance, le bouclage financier sera difficile faute de base fiscales suffisantes, d’où un besoin de pression fiscale accrue avec ses risques politiques. En cas de croissance de l’activité, le bouclage financier sera plus facile, ce qui limitera la hausse de la pression fiscale et ses risques politiques.

La mise en œuvre du programme de la NFP ne va pas déclencher l’apocalypse décrite par ses adversaires. Elle va dépendre de la capacité du système capitaliste à sortir du néolibéralisme par la voie démocratique. Sera-t-il capable d’absorber plus d’égalité et éventuellement moins de rentabilité alors que les contraintes écologiques vont s’accentuer ?

Michel Cabannes, Juin 2024

Compte rendu Assemblée Générale du Vendredi 21 Juin 2024

COMPTE RENDU

Assemblée Générale Vendredi 21 juin 2024 18h
Association Le Café Economique de Pessac

 

 

 

 

Rappel ordre du jour :

Rapport moral et activités, Rapport financier, Montant de l’adhésion saison 2024/2025, Projets débats saison  2024/2025, Renouvellement du Conseil d’Administration

Questions diverses

Les membres du bureau :

Présidente : Chantal CHEVALIER

Vice-Président : Henry FOURNIER

Trésorière : Annie SCHWAGER

Secrétaire : Daniel GIRINON

Conseil d’administration : Michel Cabannes,  LY Moussa Bocar

Pointage Adhérents : Présents à l’AG : 32 (dont 9 pouvoirs)

Bilan Moral : Chantal Chevalier, Présidente

Nous avons tenu tous nos rendez-vous pour la saison 2023/2024 (voir tous les détails en annexe 1 ou sur notre site https://www.lecafeeconomiquedepessac.fr

Les échanges entre les intervenants et le public ont été enrichissants avec une moyenne de 40 à 45 personnes présentes aux débats. Nous remercions tout particulièrement Laurence Derache qui nous reçoit à la Bibliothèque de BSE (Bordeaux Sciences Economiques).

                                                                                                                      Mise au vote : Voté à l’unanimité

Bilan financier : Annie SCHWAGER, trésorière

Nombre d’adhérents Saison 2023/2024 : 63 au 30/05/2024

Compte courant Crédit Mutuel : Solde au 7 Mai 2024 : 870.41 €

Coup de Pouce Vie Locale (Crédit Mutuel) : 240 €

                                                                                                                      Mise au vote : Voté à l’unanimité

Débats réalisés Saison 2023/2024 : voir sur le site

Informations :

– Pour les débats : maintien du 2ème ou  3ème mardi du mois de 18 h à 20 h

– Lieu des débats : Bibliothèque de Bordeaux Sciences Economiques Université Pessac

– Partenariat avec le Cinéma Jean Eustache pour le Festival International du Film d’Histoire

 

Montant de l’adhésion : Augmentation de l’adhésion à 15 €

                                                                                                                       Mise au vote : Voté à l’unanimité

Projets de débats pour la Saison 2024/2025 (sous réserve de modifications)

DATE THEME
SEPTEMBRE 2024

– Mardi 17 Septembre 2024

Quels défis pour notre système de santé ?
OCTOBRE 2024

– Mardi 8 Octobre 2024 ou Mardi 15 Octobre 2024

IA Intelligence Artificielle
NOVEMBRE 2024

– Mardi 5 Novembre 2024

 

Débat/Dédicace Chine/Etats Unis, le capitalism contre la mondialisation, Editions La Découverte, 2024
NOVEMBRE 2024

Mercredi 20 Novembre 2024 20h30

Débat du Café Economique : L’Espagne et le Portugal, 15 ans après le crise de 2008

 

Dans le cadre du 34ème Festival du Film d’Histoire

Du 19/11 au 25/11/202 Thème :  Espagne et Portugal

 

 

DECEMBRE 2024

– Mardi 10 Décembre 2024

La sécurité sociale de l’alimentation : une utopie ?
JANVIER 2025

– Date à venir

L’Economie du logement

Crise du logement

FEVRIER 2025

– Date à venir

Micro-fermes et Territoire : émergence d’un modèle de petites fermes agroécologiques et paysannes en France
MARS 2025

– Date et thème à venir

Ciné/Débat au cinema Jean Eustache Pessac
AVRIL 2025 A venir
MAI 2025 A venir

Information : Annie SCHWAGER trésorière souhaite démissionner du bureau à la saison prochaine. Nous sommes à la recherche d’une personne pour la remplacer.

Membres du bureau pour la saison 2024/2025 :

Président(e) Chantal Chevalier

Vice-Président(e) Henry FOURNIER

Secrétaire Daniel Girinon

Trésorier(e) : Annie SCHWAGER

Conseil d’administration : Michel Cabannes, LY Moussa Bocar. Après vote à l’unanimité nous souhaitons la bienvenue à Dominique Belougne  qui rejoint le Conseil d’Administration

  

FIN DE L’ASSEMBLEE GENERALE  à 19h25

POT DE L’AMITIE

Chronique – Michel Cabannes « L’extractivisme se porte bien » (Mai 2024)

Chronique – Michel Cabannes « L’extractivisme se porte bien » (Mai 2024)

L’extractivisme est un compagnon de route du capitalisme. Il correspond à une exploitation massive des ressources naturelles, à une quête sans limite des matières premières. Cela concerne les exploitations minières (métaux, minerais, charbon), les exploitations pétrolières et gazières, et l’exploitation intensive des ressources agricoles, forestières et maritimes. L’extractivisme minier a accompagné le développement industriel. En France, du XVIIe à la fin du XXe siècle, près de 5 600 mines ont été exploitées (charbon, fer, plomb, argent, zinc, cuivre, etc.)., ainsi que 244 mines d’uranium.

L’extractivisme prédateur historique

A l’époque de la colonisation, l’extraction de ressources naturelles était destinée à l’exportation vers les métropoles. Cela s’insérait dans la spécialisation traditionnelle des pays du Sud dans l’exportation de produits primaires et des pays du Nord dans l’exportation des produits manufacturés. Ce modèle a parfaitement survécu à la décolonisation. L’extractivisme domine dans les économies des pays du Sud, surtout les pays d’Amérique latine.

Les multinationales exploitent la faiblesse des normes sociales et environnementales dans les pays du Sud pour imposer leur politique prédatrice. Elles accaparent des territoires au détriment des populations autochtones. Elles opèrent sans véritable consultation des populations locales. Elles créent des pollutions dévastant les écosystèmes. Elles nuisent aux activités de subsistance (pêche, agriculture, élevage). Elles mettent en péril le droit à l’eau et à un environnement sain des populations riveraines. L’agriculture et l’élevage intensifs polluent, épuisent et assèchent les sols, et contribuent à la déforestation.

Les populations locales mènent des luttes courageuses contre les multinationales. Mais la répression est souvent féroce. Plus de 2000 défenseurs de l’environnement ont été assassinés ces 20 dernières années, le Mexique détenant le record (54 en 2021). Plus des ¾ des attaques des défenseurs des droits ont lieu en Amérique latine. ¼ de ces assassinats sont liés à l’extractivisme, principalement au secteur minier. Les peuples autochtones sont les plus visés (plus de 40% de ces assassinats).

L’extractivisme se porte toujours bien. Au cours des 20 dernières années, les volumes de métaux extraits dans le monde ont doublé. Partout, les entreprises, soutenues par les Etats, repoussent les limites des frontières extractives.

Le bel avenir de l’extractivisme.

L’avenir de l’extractivisme s’annonce sous les meilleurs auspices. Pourquoi ? Parce que la décarbonation de l’économie nécessite le recours à beaucoup de métaux.  « Pour sauver le climat, ouvrons des mines ! », résume l’économiste Nadine Levratto pour décrire la problématique actuelle. Une course aux métaux (lithium, cobalt, cuivre etc.) est lancée pour produire des énergies vertes (éoliennes, panneaux solaires, batteries). Pour la Banque mondiale : « l’extraction de ressources minérales est un complément et non un obstacle à la construction d’un avenir plus vert et plus durable ». La course aux matières premières est aussi un enjeu de la rivalité entre les grandes puissances (Etats-Unis, Chine, Russie …). Avec la nouvelle ruée sur les métaux, les volumes extraits pourraient être multipliés par plus de 5 d’ici 2050.

On ne saurait pourtant oublier qu’une extraction débridée des métaux qui se substitue à celle des énergies fossiles présente des dangers pour les écosystèmes. L’extraction minière crée des pollutions liées à l’accumulation de déchets, de dépôts de matières toxiques, de produits chimiques dégradant l’eau et les nappes phréatiques, des dégâts liés à la consommation d’énergie et d’eau (ex. l’ancienne mine d’or de Salsigne dans l’Aude).

La préservation des écosystèmes doit concerner le Sud comme le Nord. Il n’y a pas de raison de réserver l’extraction des métaux aux pays du Sud. Il nous faut partout renoncer à la boulimie extractiviste. Il faut d’une part réduire le contenu en matériaux de l’économie, notamment par le recyclage des matériaux critiques, dont les terres rares (l’objectif européen est seulement de 10% de la consommation annuelle). Il faut d’autre part opérer une réflexion collective sur les besoins à satisfaire afin réaliser un effort partagé de sobriété.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

 

Chronique Michel Cabannes Les paradoxes néolibéraux des finances publiques (Avril 2024)

Les paradoxes néolibéraux des finances publiques (Avril 2024)

Revoilà le déficit et la dette sur le devant de la scène médiatique et politique, Comme d’habitude, cela sert à justifier de nouvelles mesures d’austérité pour restreindre les dépenses publiques. Les bons apôtres qui tiennent ce discours et qui ne jurent que par le marché oublient la responsabilité du néolibéralisme dans la dégradation tendancielle des finances publiques : il stimule indirectement les dépenses publiques et sociales alors qu’il réduit directement les recettes fiscales.

Le paradoxe des dépenses publiques.

Les politiques néolibérales ont libéré les forces du marché depuis les années 1980 par les privatisations, la dérèglementation de la finance et des échanges internationaux, la flexibilisation du marché du travail. Elles ont stimulé la marchandisation, la financiarisation et la mondialisation de l’économie, ainsi que le primat de la gestion actionnariale des firmes. Ces transformations ont provoqué des déséquilibres économiques et sociaux : la désindustrialisation, la montée de la précarisation de l’emploi et de la pauvreté, des tensions multiples au sein de la société. Elles ont entrainé aussi des inégalités de revenu et de patrimoine en faveur des détenteurs du capital et au détriment des salariés (cf. l’évolution du partage entre profits et salaires) et des disparités entre salariés au regard de l’emploi et du revenu (entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation).

Dans ce contexte dégradé, le recours à l’Etat social s’est avéré impératif pour le consentement de la population et la préservation de la société. Cela a impliqué une augmentation de la redistribution par des transferts sociaux dans le cadre de la politique sociale. Cela a nécessité aussi des dépenses supplémentaires pour les services publics et les diverses fonctions collectives.

Par ailleurs, le recours accru à l’Etat s’est avéré nécessaire pour les entreprises et l’économie. D’une part, dans la logique néolibérale, l’Etat a souvent augmenté les aides aux entreprises pour soutenir la compétitivité des produits et la rentabilité du capital. D’autre part, les crises successives ont impliqué des dépenses publiques supplémentaires pour soutenir les revenus des ménages et l’activité économique.

D’où un premier paradoxe : dans le capitalisme néolibéral, les budgets publics et sociaux tendent à croître à long terme, ce qui est contraire au projet néolibéral. Cela permet d’éviter que les dégâts sociaux du néolibéralisme provoquent une explosion sociale ou une forte dégradation économique. D’où la difficulté pour les gouvernements d’inverser la tendance par des politiques d’austérité.

Le paradoxe des déficits publics.

Ce n’est pas tout. Le néolibéralisme génère aussi directement un manque de recettes publiques.

D’abord, l’idéologie antifiscale dominante qui sert d’abord les intérêts du capital et des plus riches, se traduit par des réductions d’impôts en faveur des entreprises (impôt sur les sociétés), du capital (fiscalité de l’épargne) et des ménages riches (moindre progressivité de l’impôt sur le revenu, suppression d’impôts sur la fortune).

Ensuite, la mondialisation nuit aux recettes publiques à double titre : elle permet une fuite des bases fiscales mobiles (profits, capitaux), en partie vers les paradis fiscaux, et elle génère une compétition fiscale entre les Etats qui conduit à la chute des taux d’imposition correspondants, notamment au sein de l’Union européenne.

Enfin, le souci de maintenir la paix sociale implique aussi des réductions des prélèvements obligatoires sur les ménages les plus démunis.

D’où un second paradoxe : les déficits publics permanents et l’endettement public élevé caractérisent l’ère néolibérale, ce qui est contraire à l’orthodoxie budgétaire de nombreux néolibéraux. Les finances publiques sont plus dégradées sous le capitalisme néolibéral des 40 dernières années que sous le capitalisme de compromis social des 30 années précédentes. Le rapport dette publique / PIB qui avait chuté avant le début des années 1980 s’est envolé depuis lors en France (1950 : 45%, 1986 : 26%, 2023 110%) comme aux EtatsUnis. Cela résulte de la collision entre le néolibéralisme fiscal et la hausse des dépenses publiques.

La disparition des tensions sur les finances publiques n’est pas pour demain… Il faudra d’abord rompre avec l’idéologique antifiscale dominante.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

Chronique Michel Cabannes La crise agricole (Février 2024)

La crise agricole (Février 2024)

La crise agricole (février 2024) La révolte actuelle des agriculteurs est d’abord la conséquence des politiques qui ont promu un modèle productiviste, dont les effets sociaux et écologiques sont destructeurs.

Des politiques productivistes et inégalitaires.

Les politiques depuis 1945 ont visé la modernisation de l’agriculture, la croissance de la productivité par la mécanisation, les intrants chimiques, le remembrement, la spécialisation et la concentration des exploitations.

Dans un premier temps, ces politiques furent clairement protectionnistes, d’abord au plan national, puis après 1962 au plan européen avec la création de la PAC (politique agricole commune). Celle-ci était alors basée sur le soutien des revenus par les interventions sur les prix des marchés (prix garantis, stocks régulateurs, quotas). Ce dispositif, qui était coûteux et inégalitaire, a permis à l’Europe agricole de devenir autosuffisante et exportatrice nette.

Dans un second temps, après 1992, la PAC a pris un tournant néolibéral. D’une part, l’ouverture de l’agriculture aux marchés mondiaux par la réduction des protections douanières, puis l’élargissement de l’UE, ont intensifié la concurrence. D’autre part, les mécanismes d’intervention sur les marchés ont disparu : le soutien des prix a été remplacé par des aides liées à la taille des exploitations (2003), ce qui a maintenu leur caractère inégalitaire : 80% des aides sont captées par 20% des exploitations au niveau européen.

La mutation productiviste de l’agriculture.

La concurrence accrue a intensifié la course au rendement, le productivisme, l’intensité capitalistique et l’agrandissement des exploitations. On assiste à la fin du monde paysan remplacé par l’agriculture d’entreprise. L’agriculture a réalisé d’importants gains de productivité : en France, la valeur crée par an et par travailleur agricole a quasiment été multipliée par 3 en 30 ans, passant de 20000$ en 1990 à 58000$ en 2020. Le volume de travail agricole a chuté, passant de 2,4 millions à 700000 emplois équivalents temps plein de 1970 à 2020. Le nombre d’exploitations agricoles a été divisé par 4 depuis 1970 pour atteindre 390000 en 2020.

Depuis le début des années 2000, le modèle productiviste, en marge de ses dégâts environnementaux, rencontre des difficultés croissantes du fait du ralentissement des gains de productivité et, parfois, de la demande mondiale.

La crise sociale de l’agriculture.

Dans ces conditions, les agriculteurs dénoncent une situation qui ne permet pas à beaucoup d’entre eux de vivre de leur travail. Ils subissent à la fois un rapport de forces défavorable dans les négociations de prix avec les grandes firmes, une concurrence internationale inégale liée à des disparités de normes sociales ou environnementales, et parfois un « effet de ciseau » en période de baisse des prix et de hausse des coûts.

De plus, l’activité agricole apparait comme la plus inégale des professions. En France, le revenu courant annuel avant impôt des agriculteurs est supérieur à 150000€ pour les 10% les plus aisés et inférieur à 15000€ pour les 10% les plus pauvres, ce qui les situe en dessous du SMIC horaire compte tenu de leur durée de travail. Les inégalités sont fortes suivant les filières (rapport de 1 à 6 entre les revenus moyens des éleveurs bovins et caprins et ceux des éleveurs porcins). Les réponses du gouvernement français à la crise actuelle ne sont pas à la hauteur du problème social agricole. Par ailleurs, les mesures pour une autre agriculture sont très insuffisantes (subventions à l’agriculture bio, mesures agro environnementales climatiques MAEC)

Une politique agricole alternative devrait viser à garantir un revenu décent pour les agriculteurs par la fixation de prix minimums rémunérateurs, une maitrise des volumes par exploitant, une protection extérieure par l’activation de clauses de sauvegarde. Il faudrait des plans d’urgence pour les filières en crise (agriculture bio, viticulture, fruits et légumes) et l’encadrement des marges des firmes contractantes. Enfin, les aides devraient être redéployées en faveur des petites exploitations et des formes d’agriculture non productiviste.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

Chronique Michel Cabannes : Le logement, amplificateur d’inégalités (Janvier 2024)

Chronique : Le logement, amplificateur d’inégalités (Janvier 2024)

Le retournement actuel du marché de l’immobilier, favorisé par la hausse des taux d’intérêt, n’efface pas l’envolée de ses prix depuis 20 ans : ils ont augmenté 4 fois plus vite que les revenus de 2001 à 2020 (+125% contre +29%). Le logement est devenu un poste essentiel de dépense, passant de 9,5% du revenu en 1960 à 23% aujourd’hui. C’est un domaine majeur de la crise sociale dans notre pays, aggravé par le désengagement de l’Etat (rapport Oxfam sur le logement, décembre 2023).

Des inégalités à tous les étages.

. L’envol des prix de l’immobilier a approfondi l’écart entre les ménages les plus aisés et les ménages les plus démunis par rapport au logement. La part des dépenses de logement dans le revenu est plus de 2 fois plus élevée pour les 25% les plus riches (32%) que pour les 25% les plus pauvres (14%). La part dans le budget des étudiants est 2 à 3 fois plus forte que pour la moyenne des ménages. Plus le revenu d’un ménage est faible, plus le logement réduit la part du reste à dépenser dans le budget.

. La hausse des prix de l’immobilier exclut même les catégories intermédiaires en relevant la barrière à l’accès à la propriété Pour acquérir un 40m2 à Paris, il fallait gagner 8125€ brut par mois en 2022 contre 3500€ il y a 20 ans. Seuls les plus fortunés peuvent acheter, les autres doivent s’endetter sur des périodes de plus en plus longues (15 ans en 2000, 22 ans en 2020).

. Les inégalités affectent massivement le parc de logement. La propriété des logements est concentrée : 3,5% des ménages détiennent 50% des logements mis en location par des particuliers. Le nombre de résidences secondaires croit plus vite que celui des résidences principales (1,7% contre 0,9% de 2013 à 2018). Le nombre de logements vacants (3 millions, 8,2% du parc de logements en 2023) augmente. Le mal-logement s’aggrave. On compte plus de 4 millions de mallogés et 5,2 millions de passoires thermiques (17% du parc résidentiel).

. L’accès au logement est un parcours du combattant. 2,4 millions de ménages attendent un logement social. Plus d’1 million de personnes sont privées de logement personnel, dont 330000 personnes sans domicile (Fondation Abbé Pierre). 2800 enfants étaient sans solution d’hébergement en octobre 2023 (FAS). On relève environ 15000 expulsions par an (17500 en 2022).

Le désengagement de l’Etat au profit du marché.

. La construction de logements sociaux a baissé depuis 2017 : 126000 en 2016, 96000 en 2021, environ 85000 en 2023. Les aides à la pierre pour le logement social ont quasiment disparu, l’Etat a augmenté la TVA et prélevé sur les fonds propres des bailleurs sociaux depuis 2018. Le logement social ne concerne que moins de 8% des étudiants.

. Le logement a cessé d’être une priorité. L’effort public pour le logement a été réduit (2,2% du PIB en 2010, 1,6% en 2022. Les aides aux personnes, qui sont très redistributives, ont été réduites chaque année depuis 2016 (-15%) (APL réduites, APL accession supprimées).

. Le désengagement public ouvre la voie aux investisseurs privés. Ceux-ci dominent le secteur du logement intermédiaire. Les investissements dans les résidences privées étudiantes et seniors se sont multipliés. Les réformes du secteur aidé ont transformé la gestion des organismes bailleurs. La financiarisation affecte même le logement de populations à bas revenu.

. L’explosion de la location courte durée (type AirBnB) accroit les tensions en réduisant l’offre de logements résidentiels et aggrave les inégalités.

. Les aides fiscales récentes (ex. dispositif Pinel pour l’investissement locatif) sont coûteuses pour l’Etat (3 niches fiscales : 11M€ en 12 ans, équivalent à 70000 logements sociaux), mal ciblées et peu incitatives.

Il est urgent que le logement redevienne une priorité appelant une politique volontariste de l’Etat. Cela passe notamment par un effort accru pour le logement social, par la limitation du rôle des sociétés financières, par la maitrise des prix du foncier, par le plafonnement du taux d’effort pour les ménages à bas revenu, par l’encadrement strict des meublés touristiques, par une fiscalité foncière progressive et par des mesures fortes sur les logements vacants.

Michel Cabannes, Economiste (ex enseignent Université de Bordeaux)

COP28 : contexte et résultats

Débat Mardi 16 Janvier 2024 18h20h

La COP28 : contexte et résultats


I. Le contexte.

I.1. Evolution du système terre.

 

D’après Ch. Bonneuil et J-B. Fressoz, L’évènement anthropocène, Seuil 2013

 I.2. Les émissions mondiales croissantes de CO2.

a) Croissance de la teneur de l’atmosphère en GES (stock).

1750-2019. Teneur en CO2 : +49%., méthane +160%, protoxyde azote + 23%

Teneur en CO2 : 280 ppm (particules par million, millilitres CO2/mètre3 d’air) avant le début de l’industrialisation, 310 ppm en 1950, 358 ppm en 1988, 400 ppm en 2015, 413 ppm en 2020, 417 ppm en 2022.

 

b) Croissance des émissions annuelles mondiales de GES (flux).

Emission CO2 : 1970-2023 (milliards de tonnes CO2)

1970 1980 1990 2000 2010 2015 2020 2021 2022 2023
19,9 23,7 27,7 30,6 38 40,4 38,5 40,3 40,7 40,9

 c) Motif : une décarbonation du PIB inférieure à la croissance du PIB.

– Emissions CO2 = PIB x intensité carbonique PIB, soit : E = PIB x ICPIB

2000-2020, la croissance des émissions CO2 (+37,9%) résulte d’une baisse de l’intensité carbone du PIB (-27,5%) inférieure à la croissance du PIB (+89,7%).

– ICPIB = IE (intensité énergétique PIB) x IC (intensité carbonique de l’énergie)

La baisse de l’ICPIB ne vient que de la baisse d’intensité énergétique du PIB (-25,4%) car l’intensité carbonique de l’énergie résiste (-2,2%) du fait de lenteur de la substitution des énergies nouvelles aux énergies fossiles.

I.3.  Les responsabilités inégales dans les émissions de CO2.

a) Emissions annuelles par tête (2019).

CO2/tête : Monde (6,5t) : 1% riches 110t, 10% riches 31t, 50% pauvres 1,6 t.

Empreinte carbone/tête : Etats-Unis 21,1t, France 8,7t, Chine 8,0t, Inde 2,2t.

b) Emissions cumulées par niveau de revenu (1990-2015).

c) Emissions cumulées historiques par pays (1850-2021).

Les Etats-Unis (20% du total mondial) devancent la Chine (11%) et la Russie (7%). La responsabilité des vieux pays industriels a précédé celle de la Chine.

Emissions cumulées de CO2 1850-2021 : part des 20 premiers pays émetteurs

I.4. Des ambitions récentes inabouties.

a) La COP21 (Paris 2015).

Objectif : limiter le réchauffement « en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et si possible « limiter la hausse à 1,5°C » ; neutralité carbone « équilibre entre émissions et absorptions anthropiques avant la fin du siècle. Rien sur les énergies fossiles ; projets nationaux incohérents avec l’objectif.

b) Des réalisations insuffisantes.

– Pays du Nord : inflexion sans chute. UE : années 80 ; Etats-Unis : années 2010. Motifs du retard : soutien aux énergies fossiles, défense du mode de vie.

– Pays du Sud (Chine, Inde, autres) : pas d’inflexion. Motifs de l’inertie : croissance économique et dépendance aux énergies fossiles.

 

 II. La COP28.

II.1. Un énorme défi à relever.

a) Le retournement drastique à accomplir.

Le retard dans les réalisations à la suite de la COP 21 de 2015 impliquait de décider un énorme retournement immédiat des politiques nationales pour atteindre rapidement la limitation du réchauffement à 1,5°C ou 2°C.

 

b) Des nouveaux plans nationaux insuffisants.

Les plans nationaux d’avant la COP28 en 2023 impliquaient globalement 2 fois plus de combustibles fossiles en 2030 que nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique, une baisse des émissions de CO2 entre 2019 et 2030 très en-dessous des 43% de baisse nécessaires dans ce but et un réchauffement climatique compris entre +2,1°C et +2,8°C à la fin du siècle (rapports climat ONU, novembre 2023). Leurs engagements à la COP 28 ne couvrent que 30% de l’écart à la trajectoire de +1,5°C (AIE, 10 décembre 2023).

II.2. L’engagement final vers la décarbonation.

Le texte final adopté par consensus reprend l’objectif de +1,5°c°. C’est un programme de décarbonation de l’économie mondiale.

a) Mise en cause des énergies fossiles.

– Rappel : un désaccord initial et des pressions multiples.

. 3 options en présence au début de la COP : « sortie juste et coordonnée des énergies fossiles » (UE, Etats insulaires) ; des efforts pour les réduire (Etats-Unis, Canada, Russie) ; pas de mention de sortie (Pays pétroliers, Chine, Inde).

. De fortes pressions des pays pétroliers (dont la lettre de l’OPEP) et de très nombreux lobbyistes des énergies fossiles présents à Dubaï.

– Le texte final : « une transition hors des énergies fossiles »

. Une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, équilibrée et équitable, en accélérant l’action climatique dans cette décennie critique, de manière à atteindre la neutralité d’ici 2050 ».

. Engager la fermeture de centrales et chaudières industrielles à charbon non équipées de systèmes de capture et stockage de gaz carbonique.

. Supprimer les subventions aux énergies fossiles qui sont inefficaces.

b) Voies complémentaires.

Reprise des objectifs proposés par l’AIE (Agence Internationale Energie).

. Triplement de la production énergies renouvelables d’ici 2030.

Proposition déjà soutenue par 123 pays (UE, Etats-Unis, Emirats Arabes Unis).

. Doublement du rythme d’essor de l’efficacité énergétique de 2% à 4% par an.

. Liste de technologies pour décarboner le secteur électrique : renouvelables, nucléaire, capture et stockage du carbone, hydrogène bas carbone.

. Accélération de la baisse des GES autres que le dioxyde de carbone, essentiellement le méthane.

II.3. Les faibles engagements financiers.

Les pays émetteurs historiques de GES rechignent à mettre suffisamment d’argent en matière de justice climatique.

a) Le Fonds pour les « pertes et dommages » : dérisoire.

Ce mécanisme de solidarité des pays historiquement les plus émetteurs envers les pays les plus touchés par les dérèglements climatiques, acté à la COP 27 en 2022, a été concrétisé le premier jour de la COP28.  Les premiers ont promis environ 800 millions $. Il faudrait 1000 fois plus pour répondre aux besoins réels liés aux pertes er dommages.

b) Le Fonds « adaptation » : échec.

L’objectif mondial d’adaptation au changement climatique (canicules, pluies diluviennes) est dépourvu d’indicateurs. Les engagements sont faibles ; on en reste à la promesse de doubler le fonds d’adaptation d’ici 2025 de 20 à 40M$ par an. C’est très en-dessous des besoins (entre 215M$ et 387M$ selon l’Adaptation Gap Report de l’ONU).

c) Un chantier pour de nouvelles taxes.

Un groupe de travail (5 pays dont France, Espagne, UE, Union Africaine) est créé pour concevoir des taxes basées sur le principe pollueur-payeur (firmes fossiles, transport maritime etc.)

II.4. Un accord important par l’objectif et insuffisant par les moyens.

a) Un accord important par l’objectif de décarbonation.

La COP28 ouvre la voie à un monde sans combustibles. Elle cible les énergies fossiles pour la première fois après les dérobades des COP précédentes. Elle préconise l’accélération des énergies nouvelles et de l’efficacité énergétique.

b) Un accord préservant l’ordre économique par les moyens retenus.

Il privilégie les nouvelles technologies (ex. techniques décarbonées, techniques de capture de carbone non éprouvées et peu sûres) et les ajustements par les marchés, et tend à minimiser le rôle de la sobriété. Cela vise à préserver le mode de vie des consommateurs dans les pays développés, surtout des catégories les plus aisées, dans un but favorable à l’accumulation du capital.

b) Un accord insuffisant envers l’urgence climatique par les moyens retenus.

– Des échappatoires pour les énergies fossiles :  pas de calendrier de sortie précis et contraignant, autorisation des « carburants de transition », fin des seules « subventions inefficaces », l’évocation des « circonstances nationales », du gaz fossile comme énergie de transition.

– Des engagements financiers dérisoires des pays du Nord, d’où un manque de financement des pays du Sud qui va y retarder la transition.

– La réalisation dépendra en définitive de la bonne volonté des Etats.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

 


 

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