Chronique Michel Cabannes Les paradoxes néolibéraux des finances publiques (Avril 2024)

Les paradoxes néolibéraux des finances publiques (Avril 2024)

Revoilà le déficit et la dette sur le devant de la scène médiatique et politique, Comme d’habitude, cela sert à justifier de nouvelles mesures d’austérité pour restreindre les dépenses publiques. Les bons apôtres qui tiennent ce discours et qui ne jurent que par le marché oublient la responsabilité du néolibéralisme dans la dégradation tendancielle des finances publiques : il stimule indirectement les dépenses publiques et sociales alors qu’il réduit directement les recettes fiscales.

Le paradoxe des dépenses publiques.

Les politiques néolibérales ont libéré les forces du marché depuis les années 1980 par les privatisations, la dérèglementation de la finance et des échanges internationaux, la flexibilisation du marché du travail. Elles ont stimulé la marchandisation, la financiarisation et la mondialisation de l’économie, ainsi que le primat de la gestion actionnariale des firmes. Ces transformations ont provoqué des déséquilibres économiques et sociaux : la désindustrialisation, la montée de la précarisation de l’emploi et de la pauvreté, des tensions multiples au sein de la société. Elles ont entrainé aussi des inégalités de revenu et de patrimoine en faveur des détenteurs du capital et au détriment des salariés (cf. l’évolution du partage entre profits et salaires) et des disparités entre salariés au regard de l’emploi et du revenu (entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation).

Dans ce contexte dégradé, le recours à l’Etat social s’est avéré impératif pour le consentement de la population et la préservation de la société. Cela a impliqué une augmentation de la redistribution par des transferts sociaux dans le cadre de la politique sociale. Cela a nécessité aussi des dépenses supplémentaires pour les services publics et les diverses fonctions collectives.

Par ailleurs, le recours accru à l’Etat s’est avéré nécessaire pour les entreprises et l’économie. D’une part, dans la logique néolibérale, l’Etat a souvent augmenté les aides aux entreprises pour soutenir la compétitivité des produits et la rentabilité du capital. D’autre part, les crises successives ont impliqué des dépenses publiques supplémentaires pour soutenir les revenus des ménages et l’activité économique.

D’où un premier paradoxe : dans le capitalisme néolibéral, les budgets publics et sociaux tendent à croître à long terme, ce qui est contraire au projet néolibéral. Cela permet d’éviter que les dégâts sociaux du néolibéralisme provoquent une explosion sociale ou une forte dégradation économique. D’où la difficulté pour les gouvernements d’inverser la tendance par des politiques d’austérité.

Le paradoxe des déficits publics.

Ce n’est pas tout. Le néolibéralisme génère aussi directement un manque de recettes publiques.

D’abord, l’idéologie antifiscale dominante qui sert d’abord les intérêts du capital et des plus riches, se traduit par des réductions d’impôts en faveur des entreprises (impôt sur les sociétés), du capital (fiscalité de l’épargne) et des ménages riches (moindre progressivité de l’impôt sur le revenu, suppression d’impôts sur la fortune).

Ensuite, la mondialisation nuit aux recettes publiques à double titre : elle permet une fuite des bases fiscales mobiles (profits, capitaux), en partie vers les paradis fiscaux, et elle génère une compétition fiscale entre les Etats qui conduit à la chute des taux d’imposition correspondants, notamment au sein de l’Union européenne.

Enfin, le souci de maintenir la paix sociale implique aussi des réductions des prélèvements obligatoires sur les ménages les plus démunis.

D’où un second paradoxe : les déficits publics permanents et l’endettement public élevé caractérisent l’ère néolibérale, ce qui est contraire à l’orthodoxie budgétaire de nombreux néolibéraux. Les finances publiques sont plus dégradées sous le capitalisme néolibéral des 40 dernières années que sous le capitalisme de compromis social des 30 années précédentes. Le rapport dette publique / PIB qui avait chuté avant le début des années 1980 s’est envolé depuis lors en France (1950 : 45%, 1986 : 26%, 2023 110%) comme aux EtatsUnis. Cela résulte de la collision entre le néolibéralisme fiscal et la hausse des dépenses publiques.

La disparition des tensions sur les finances publiques n’est pas pour demain… Il faudra d’abord rompre avec l’idéologique antifiscale dominante.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

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