Débat Mardi 16 Janvier 2024 18h20h
La COP28 : contexte et résultats
I. Le contexte.
I.1. Evolution du système terre.
D’après Ch. Bonneuil et J-B. Fressoz, L’évènement anthropocène, Seuil 2013
I.2. Les émissions mondiales croissantes de CO2.
a) Croissance de la teneur de l’atmosphère en GES (stock).
1750-2019. Teneur en CO2 : +49%., méthane +160%, protoxyde azote + 23%
Teneur en CO2 : 280 ppm (particules par million, millilitres CO2/mètre3 d’air) avant le début de l’industrialisation, 310 ppm en 1950, 358 ppm en 1988, 400 ppm en 2015, 413 ppm en 2020, 417 ppm en 2022.
b) Croissance des émissions annuelles mondiales de GES (flux).
Emission CO2 : 1970-2023 (milliards de tonnes CO2)
1970 | 1980 | 1990 | 2000 | 2010 | 2015 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
19,9 | 23,7 | 27,7 | 30,6 | 38 | 40,4 | 38,5 | 40,3 | 40,7 | 40,9 |
c) Motif : une décarbonation du PIB inférieure à la croissance du PIB.
– Emissions CO2 = PIB x intensité carbonique PIB, soit : E = PIB x ICPIB
2000-2020, la croissance des émissions CO2 (+37,9%) résulte d’une baisse de l’intensité carbone du PIB (-27,5%) inférieure à la croissance du PIB (+89,7%).
– ICPIB = IE (intensité énergétique PIB) x IC (intensité carbonique de l’énergie)
La baisse de l’ICPIB ne vient que de la baisse d’intensité énergétique du PIB (-25,4%) car l’intensité carbonique de l’énergie résiste (-2,2%) du fait de lenteur de la substitution des énergies nouvelles aux énergies fossiles.
I.3. Les responsabilités inégales dans les émissions de CO2.
a) Emissions annuelles par tête (2019).
CO2/tête : Monde (6,5t) : 1% riches 110t, 10% riches 31t, 50% pauvres 1,6 t.
Empreinte carbone/tête : Etats-Unis 21,1t, France 8,7t, Chine 8,0t, Inde 2,2t.
b) Emissions cumulées par niveau de revenu (1990-2015).
c) Emissions cumulées historiques par pays (1850-2021).
Les Etats-Unis (20% du total mondial) devancent la Chine (11%) et la Russie (7%). La responsabilité des vieux pays industriels a précédé celle de la Chine.
Emissions cumulées de CO2 1850-2021 : part des 20 premiers pays émetteurs
I.4. Des ambitions récentes inabouties.
a) La COP21 (Paris 2015).
Objectif : limiter le réchauffement « en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et si possible « limiter la hausse à 1,5°C » ; neutralité carbone « équilibre entre émissions et absorptions anthropiques avant la fin du siècle. Rien sur les énergies fossiles ; projets nationaux incohérents avec l’objectif.
b) Des réalisations insuffisantes.
– Pays du Nord : inflexion sans chute. UE : années 80 ; Etats-Unis : années 2010. Motifs du retard : soutien aux énergies fossiles, défense du mode de vie.
– Pays du Sud (Chine, Inde, autres) : pas d’inflexion. Motifs de l’inertie : croissance économique et dépendance aux énergies fossiles.
II. La COP28.
II.1. Un énorme défi à relever.
a) Le retournement drastique à accomplir.
Le retard dans les réalisations à la suite de la COP 21 de 2015 impliquait de décider un énorme retournement immédiat des politiques nationales pour atteindre rapidement la limitation du réchauffement à 1,5°C ou 2°C.
b) Des nouveaux plans nationaux insuffisants.
Les plans nationaux d’avant la COP28 en 2023 impliquaient globalement 2 fois plus de combustibles fossiles en 2030 que nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique, une baisse des émissions de CO2 entre 2019 et 2030 très en-dessous des 43% de baisse nécessaires dans ce but et un réchauffement climatique compris entre +2,1°C et +2,8°C à la fin du siècle (rapports climat ONU, novembre 2023). Leurs engagements à la COP 28 ne couvrent que 30% de l’écart à la trajectoire de +1,5°C (AIE, 10 décembre 2023).
II.2. L’engagement final vers la décarbonation.
Le texte final adopté par consensus reprend l’objectif de +1,5°c°. C’est un programme de décarbonation de l’économie mondiale.
a) Mise en cause des énergies fossiles.
– Rappel : un désaccord initial et des pressions multiples.
. 3 options en présence au début de la COP : « sortie juste et coordonnée des énergies fossiles » (UE, Etats insulaires) ; des efforts pour les réduire (Etats-Unis, Canada, Russie) ; pas de mention de sortie (Pays pétroliers, Chine, Inde).
. De fortes pressions des pays pétroliers (dont la lettre de l’OPEP) et de très nombreux lobbyistes des énergies fossiles présents à Dubaï.
– Le texte final : « une transition hors des énergies fossiles »
. Une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, équilibrée et équitable, en accélérant l’action climatique dans cette décennie critique, de manière à atteindre la neutralité d’ici 2050 ».
. Engager la fermeture de centrales et chaudières industrielles à charbon non équipées de systèmes de capture et stockage de gaz carbonique.
. Supprimer les subventions aux énergies fossiles qui sont inefficaces.
b) Voies complémentaires.
Reprise des objectifs proposés par l’AIE (Agence Internationale Energie).
. Triplement de la production énergies renouvelables d’ici 2030.
Proposition déjà soutenue par 123 pays (UE, Etats-Unis, Emirats Arabes Unis).
. Doublement du rythme d’essor de l’efficacité énergétique de 2% à 4% par an.
. Liste de technologies pour décarboner le secteur électrique : renouvelables, nucléaire, capture et stockage du carbone, hydrogène bas carbone.
. Accélération de la baisse des GES autres que le dioxyde de carbone, essentiellement le méthane.
II.3. Les faibles engagements financiers.
Les pays émetteurs historiques de GES rechignent à mettre suffisamment d’argent en matière de justice climatique.
a) Le Fonds pour les « pertes et dommages » : dérisoire.
Ce mécanisme de solidarité des pays historiquement les plus émetteurs envers les pays les plus touchés par les dérèglements climatiques, acté à la COP 27 en 2022, a été concrétisé le premier jour de la COP28. Les premiers ont promis environ 800 millions $. Il faudrait 1000 fois plus pour répondre aux besoins réels liés aux pertes er dommages.
b) Le Fonds « adaptation » : échec.
L’objectif mondial d’adaptation au changement climatique (canicules, pluies diluviennes) est dépourvu d’indicateurs. Les engagements sont faibles ; on en reste à la promesse de doubler le fonds d’adaptation d’ici 2025 de 20 à 40M$ par an. C’est très en-dessous des besoins (entre 215M$ et 387M$ selon l’Adaptation Gap Report de l’ONU).
c) Un chantier pour de nouvelles taxes.
Un groupe de travail (5 pays dont France, Espagne, UE, Union Africaine) est créé pour concevoir des taxes basées sur le principe pollueur-payeur (firmes fossiles, transport maritime etc.)
II.4. Un accord important par l’objectif et insuffisant par les moyens.
a) Un accord important par l’objectif de décarbonation.
La COP28 ouvre la voie à un monde sans combustibles. Elle cible les énergies fossiles pour la première fois après les dérobades des COP précédentes. Elle préconise l’accélération des énergies nouvelles et de l’efficacité énergétique.
b) Un accord préservant l’ordre économique par les moyens retenus.
Il privilégie les nouvelles technologies (ex. techniques décarbonées, techniques de capture de carbone non éprouvées et peu sûres) et les ajustements par les marchés, et tend à minimiser le rôle de la sobriété. Cela vise à préserver le mode de vie des consommateurs dans les pays développés, surtout des catégories les plus aisées, dans un but favorable à l’accumulation du capital.
b) Un accord insuffisant envers l’urgence climatique par les moyens retenus.
– Des échappatoires pour les énergies fossiles : pas de calendrier de sortie précis et contraignant, autorisation des « carburants de transition », fin des seules « subventions inefficaces », l’évocation des « circonstances nationales », du gaz fossile comme énergie de transition.
– Des engagements financiers dérisoires des pays du Nord, d’où un manque de financement des pays du Sud qui va y retarder la transition.
– La réalisation dépendra en définitive de la bonne volonté des Etats.
Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)